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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


certain rythme uniforme pour toute écriture à peu près régulière, même rapide. C’est ce rythme que Bertillon a découvert dans le bordereau. Il eût vérifié son observation sur d’autres manuscrits, ou se fût informé, qu’il eût connu la fréquence du prétendu phénomène. Savant ou simplement homme de bonne foi, il eût abandonné aussitôt la preuve qui ferait de toute écriture régulière l’œuvre d’un faussaire astucieux.

Cependant Bertillon affirme l’exactitude du rythme, et il la prétend prouvée par une expérience. « Si, dit-il, on fait passer, parallèlement au bord du papier, une grille espacée de 5 en 5 millimètres, il apparaît que tous les mots redoublés polysyllabes et la grande majorité des monosyllabes sont touchés par les barreaux de la grille aux mêmes emplacements. » En d’autres termes, si l’on divise le bordereau en une série de réticules par un réseau de lignes parallèles, et si l’on compare, entre ces parallèles, les distances de deux mots ou de deux groupes de lettres identiques ou similaires, les intervalles respectifs sont égaux. Parmi ces mots, les uns sont touchés semblablement par les réticules à leur lettre initiale ; les autres, dans leur partie finale. Donc, l’artifice est flagrant. « Il faudrait recommencer l’expérience, en moyenne dix fois, pour avoir chance d’observer, une fois en moyenne, le repérage[1]. »

Or, d’abord, le réticulage à 5 millimètres est un non-sens, puisque le papier du bordereau est quadrillé à

  1. Cass., I, 483 ; Rennes, II, 320 et suiv., Bertillon. La déposition de Bertillon, au procès de 1894, n’ayant pu être sténographiée en raison du huis-clos, je suis forcé de prendre l’exposé de son système dans ses dépositions à la Cour de cassation et à Rennes. Il convient lui-même qu’il a perfectionné son système depuis 1894 ; mais il n’indique pas ces perfectionnements. L’anachronisme, que je ne puis m’empêcher de commettre, est donc tout à son avantage.