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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en secret ? Les juges, aussitôt, seraient accusés d’avoir été payés par la bande juive.

La folie étant contagieuse, le bon sens pourrait l’être. Que la presse libérale s’écœure d’avoir peur, et la presse socialiste de suivre Rochefort, qui suit Drumont, tout l’édifice, encore si fragile, du crime, risque de crouler. Proclamer le droit de Dreyfus à être innocent, dire qu’il pourrait l’être, c’est la fissure par où peut rentrer le Droit. Mercier, pour la boucher, crut nécessaire d’affirmer lui-même, publiquement, la culpabilité de l’accusé.

Chef de l’armée et de la justice militaire, il sait le poids de sa parole sur ces juges de demain. Ils resteront, dans leur mission d’un jour, soldats, officiers, sinon préoccupés de leur avancement, rompus du moins à la discipline, habitués à deviner les secrètes pensées des chefs. L’instruction elle-même n’était pas close encore, l’ordre de jugement pas encore rendu. Un scrupule pouvait venir, sinon à d’Ormescheville, du moins à Saussier, qui grognait. Mercier posa le dilemme : « Ou Dreyfus ou moi. »

Il fit venir ou reçut le rédacteur militaire du Figaro[1] et lui déclara qu’il avait eu, du premier jour, sous les yeux « les preuves criantes de la trahison de Dreyfus ». Il avait soumis à ses collègues « des rapports accablants », sur quoi, « sans aucun retard, l’arrestation avait été ordonnée ». Ce n’était pas à l’Italie que Dreyfus avait offert des documents, ni à l’Autriche. On a « les preuves matérielles de son infamie ». Une seule lacune reste à l’instruction ; « on n’a pas réussi, jusqu’à présent, à démontrer qu’il ait été payé. » Mais, ce qu’on peut répéter, « c’est que la culpabilité est absolument certaine », et que le traître a des complices civils, tout au

  1. Charles Leser.