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LE DOSSIER SECRET


non seulement de canaille, mais de fou et d’imposteur, cet ami, cet espion précieux entre tous ! Le brutal refus de rentrer en relations avec l’individu qui promet « de faire tout son possible pour satisfaire » son employeur, s’il le veut reprendre, c’est, pour Du Paty, l’incontestable preuve des folles exigences du juif. Il s’imagine ainsi Dreyfus, ce prudent et subtil Dreyfus, ce simulateur incomparable, le riche orgueilleux, allant lui-même porter à Panizzardi le gros paquet de douze plans directeurs, et mendiant sa rentrée en grâce, une augmentation de salaire ! Et Schwarzkoppen, gorgé de fonds secrets, aurait marchandé la trahison d’un ancien élève de l’École polytechnique, officier d’État-Major, logé aux premières sources, qui sait par cœur le plan de concentration ! Il aurait fait fi de cette bonne fortune[1] !

Alors, selon le commentaire de Du Paty, Dreyfus, pour se réconcilier avec Schwarzkoppen, aurait écrit le bordereau ; les mots : « Sans nouvelles, Monsieur, etc., » montrent qu’il cherchait à renouer avec l’employeur qui l’avait congédié[2].

Ainsi, il existe un lien ininterrompu, chronologique, entre le mémento de Schwarzkoppen, la lettre de Panizzardi au sujet de Davignon, la pièce Canaille de D… et le bordereau.

Ainsi encore, Dreyfus aurait servi à la fois et l’Allemagne et l’Italie.

Le seul bon sens eût dû empêcher Du Paty d’identifier « ce canaille de D… » avec Dreyfus. Et aussi la

  1. Cavaignac (Cass., I, 35) et Cuignet (Cass., I, 257) conviennent que la pièce ne s’applique pas à Dreyfus. — Le comte Tornielli en fit la déclaration formelle à Hanotaux, le 15 janvier 1898 (Cass., I, 401), et le comte Bonin, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, le 1er  février 1898, à la Chambre italienne.
  2. Cass., I, 141, Picquart.