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LE HUIS CLOS


l’avait relu vingt fois, annoté, réfuté victorieusement chaque mensonge, chaque sottise, chaque ligne. Il était impossible que le conseil de guerre hésitât. Dreyfus eût cru lui faire injure en le supposant. Son culte de l’armée, son respect des chefs n’avaient pas subi une atteinte.

Dans la nuit qui précéda l’ouverture du procès, il écrivit à sa femme :

« J’arrive enfin au terme de mes souffrances, de mon martyre. Demain, je paraîtrai devant mes juges, le front haut, l’âme tranquille. L’épreuve que je viens de subir, épreuve terrible s’il en fût, a éprouvé mon âme. Je te reviendrai meilleur que je n’ai été ; je veux te consacrer, à toi, à mes chers enfants, à ma chère famille, tout ce qui me reste encore à vivre.

« J’ai passé par des crises épouvantables ; j’ai eu de vrais moments de folie furieuse, à la pensée d’être accusé d’un crime aussi monstrueux. Maintenant, je suis prêt à paraître devant des soldats, comme un soldat qui n’a rien à se reprocher.

« Je n’ai rien à craindre. Dors tranquille, ma chérie. Pense seulement à notre joie à nous trouver bientôt dans les bras l’un de l’autre, à oublier vite ces jours tristes et sombres.

« À bientôt. »

Esterhazy, à la même époque, allait souvent voir son ami Maurice Weil. « Pour moi, lui dit-il, Dreyfus est innocent, ce qui n’empêche pas qu’il sera condamné[1]. » Et il en donnait cette raison : la haine des juifs.

  1. Cass., I, 308, Maurice Weil.