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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tions qui lui avaient été déjà posées à l’instruction et à l’enquête, sur le bordereau, sur ses prétendues habitudes d’indiscrétion, de furetage et de jeu. Il y fit, invariablement, les mêmes réponses. Il nia tout ce qui lui était reproché, parce que tout était mensonger et faux.

Le préfet de police rapporte que « sa voix était atone, paresseuse, blanche », et que « rien, dans son attitude, n’était de nature à éveiller la sympathie, malgré la situation tragique où il se trouvait[1] ». Le colonel Maurel dépose que « son attitude fut ferme et absolument correcte[2] ».

Sa voix était celle qu’il avait reçue de la nature, moins chaude et veloutée que celle d’un ténor ; son attitude était simple, celle, non d’un acteur, mais d’un soldat.

Il venait de passer sept semaines dans une cellule, au secret le plus absolu, sans un livre, en tête à tête avec le cauchemar de sa vie brisée et de l’infâme accusation. Il échappait à peine des griffes de la folie, qu’il avait senties sur son front. Moralement invaincu, grâce à un effort prodigieux de volonté, il était physiquement brisé. Mais il ne voulait tenir sa victoire que de son innocence, non de la pitié.

La pitié des hommes ne vient que si on l’appelle ; encore est-elle souvent sourde. Il ne l’appela pas.

Non seulement toute rhétorique lui était étrangère, mais jusqu’au désir d’attendrir les âmes. Il ne lutta qu’avec sa raison, s’adressant non au cœur, mais à la

  1. Cass., II, 9, Lépine : « Il niait tout d’une voix atone… etc. » — J’ai eu l’occasion, après avoir déposé devant Ravary (18 décembre 1897), de questionner le greffier Vallecalle sur l’attitude de Dreyfus au procès ; il me répondit textuellement : « Il a discuté ; moi, à sa place, j’aurais gueulé. »
  2. Rennes, II, 192, Maurel.