Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


affichant, avec son orgueil nobiliaire, celui de sa situation privilégiée et de son universelle compétence, et que désarçonne le premier coup d’estoc, eût compromis même une bonne cause.

Picquart, qui jusqu’alors n’avait pas mis en doute le récit de Du Paty, dit « qu’il fut absolument bouleversé, sur le moment, par cette réponse, qui lui parut invraisemblable[1] ». Il n’en continua pas moins à croire Dreyfus coupable, confiant dans la parole des chefs qui ne pouvaient pas être des menteurs, hypnotisé par le mystérieux dossier secret. Les juges, tout en s’étonnant, s’accrochèrent à l’idée que Du Paty se heurtait à la difficulté de traduire des impressions qu’il avait sincèrement éprouvées. Il leur parut convaincu.

Du Paty reconnut ensuite que la perquisition, faite aussitôt au domicile de Dreyfus, avait été vaine. Le traître avait tout fait disparaître, tout brûlé, même des factures. Dreyfus le dément : toutes ses factures, même antérieures à son mariage, étaient classées ; elles sont là, sous les scellés.

Passant au récit des interrogatoires au Cherche-Midi, Du Paty raconte une seconde épreuve, qu’il aurait fait subir à Dreyfus à son insu et qu’il n’avait pas consignée dans son rapport. Il en attendait un gros effet : « En interrogeant, dit-il, le capitaine Dreyfus dans sa prison, j’ai attendu le moment où il aurait les jambes croisées ; puis je lui ai posé, à brûle-pourpoint, une question qui devait faire naître l’émotion chez un coupable. J’avais les yeux fixés sur l’extrémité du pied de la jambe pendante. Le mouvement, presque imperceptible auparavant, de l’extrémité du pied, s’est trouvé tout à coup, au moment de ma question, très sensible à mes yeux ;

  1. Cass., I, 129, Picquart.