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LE PROCÈS


donc, le pouls s’accélérait, le cœur battait plus fort, l’émotion de Dreyfus trahissait sa culpabilité[1]. »

Les juges écoutèrent, non sans surprise, cette bizarrerie nouvelle d’un cerveau de moine inquisiteur. Demange montra le ridicule de cette imagination saugrenue. Il apporta le lendemain une note du Dr Lutaud, démontrant l’absurdité scientifique de l’épreuve : les mouvements du pied ne sont pas en corrélation avec les mouvements du cœur, ils ne peuvent ni déceler une émotion ni révéler un aveu.

Du Paty s’enfonçait. Dreyfus, à son interrogatoire, avait expliqué qu’il n’avait pu connaître, en avril ou mai, date attribuée au bordereau, les formations nouvelles d’artillerie, décidées seulement en juillet. L’objection avait porté. Du Paty, pour la réfuter, émit l’avis que le bordereau était peut-être d’août, et que les mots « partir en manœuvres » viseraient les manœuvres d’automne, où Dreyfus « aurait cru devoir aller[2] ».

Dreyfus se leva, mit en pièces cette thèse nouvelle, inventée pour échapper à des impossibilités manifestes, mais qui échouait à d’autres impossibilités.

En avril, en effet, et dans les premiers jours de mai, il ignorait encore s’il irait ou non aux manœuvres. Mais, le 17 mai, une note avait paru, du chef d’État-Major général, portant à la connaissance des stagiaires qu’ils n’iraient pas aux manœuvres. Boisdeffre avait décidé, avec raison, de rentrer, à leur égard, dans les règles communes. Ils seraient astreints, à partir de cette année même, à accomplir deux périodes de service dans

  1. Cass., III, 605, note de Demange.
  2. Cass., III, 602, Demange. — Cette hypothèse de Du Paty deviendra la thèse de l’État-Major, après que Gonse et Pellieux auront rétabli, au procès Zola, la vraie date du bordereau, août-septembre au lieu d’avril-mai.