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LA DÉGRADATION


l’autruche. « Maintenant que c’est fini[1] », ils supplient qu’on parle d’autre chose : « l’affaire Dreyfus soulève trop de problèmes irritants[2] ». C’est l’avis de Cornély qui, vaillant dans la lutte, répétera ce refrain pacifique après chaque défaite ; l’avis de Saint-Genest, du Journal des Débats et du Temps. C’est aussi le désir du ministère, effrayé de cette explosion, gêné par la réputation d’avoir cherché à étouffer le procès[3], inquiet de la victoire où Mercier s’étale.

En effet, le nouveau boulangisme se développe. Toutes les attaques contre le ministre de la Guerre ont cessé ; c’est un concert d’éloges. Les royalistes sont les plus ardents : « Honneur à Mercier qui n’a pas voulu que ce crime abominable reste impuni, qui a fait tout son devoir[4] ! » La condamnation de Dreyfus « lui doit être comptée comme une action d’éclat devant l’ennemi[5] ». Les socialistes eux-mêmes le remercient « d’avoir résisté à l’incroyable pression des politiciens véreux et des hauts barons de la finance[6] ».

Les démagogues, de tout temps, quand ils voient passer un tumulte, s’y joignent.

La foule ne saurait crier sans qu’ils crient avec elle. Demandez leur la vie, mais non de se taire dans le bruit. Leur conscience ou leur politique les retiendra parfois de pousser les mêmes clameurs ; mais ils en pousseront

  1. Figaro du 23 décembre : « Maintenant que c’est fini, parlons le moins possible de cette triste histoire. »
  2. Matin du 23.
  3. Intransigeant du 24 : « Jamais la couardise gouvernementale ne pardonnera au général Mercier de s’être refusé à l’étouffement de l’affaire. » De même, la Libre Parole, la Gazette de France, la Croix, etc.
  4. Soleil du 23.
  5. Gazette de France du 24.
  6. Petite République du 24.