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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


La loi a été préparée à l’État-Major depuis plusieurs semaines, dans la préoccupation constante du procès en cours et du silence à imposer, après le verdict, à quiconque osera révéler les documents de l’affaire[1].

Aussitôt Jaurès prend la parole. Il demande l’urgence pour une proposition tendant à reviser les articles du Code de justice militaire qui frappent de mort « le soldat simplement coupable, dans une minute d’égarement, d’un acte de violence envers l’un de ses chefs ». Mais, au lieu de développer cette pensée, humaine et juste, il fait le procès du procès de Dreyfus, dénonçant le Gouvernement pour avoir désarmé la justice militaire : « Si on n’a pas fusillé pour trahison, c’est parce qu’on ne l’a pas voulu, alors que la loi le permet ! »

Presque toute la Chambre est debout, protestant contre l’audace de ces paroles. Brisson, élu depuis peu de jours à la présidence[2], déclare « ce langage injurieux pour les membres du conseil de guerre » et rappelle Jaurès à l’ordre.

Mais Jaurès, d’une véhémence croissante et comme ivre de l’idée qui l’obsède, s’acharne à répéter qu’il était possible, d’après la loi, d’appliquer la peine de mort à Dreyfus, au traître, mais qu’on ne l’a pas voulu.

    tions véhémentes de presque toute la presse. Le Sénat refusa de voter cette loi de circonstance et en modifia radicalement le texte.

  1. Notamment l’article 6 : « Sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 1.000 à 10.000 francs, celui qui, sans avoir qualité à cet effet, mais sans que le but d’espionnage soit établi, se sera procuré, en tout ou en partie, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements, dont le secret intéresse la défense du territoire ou la sûreté de l’État. » La Libre Parole elle-même, dès le 25 décembre, protesta contre cet article.
  2. Brisson avait été élu le 12 décembre par 249 voix contre 213 à Méline, en remplacement de Burdeau, qui venait de mourir.