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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


malheur qu’il jette, sans conscience, au milieu de son foyer en deuil[1] ? » Son cri de : « Vive la France ! » c’est, pour le moine de la Croix, « le dernier baiser de Judas[2] ». Et la Libre Parole explique « l’incroyable sang-froid du premier rôle, son attitude qui n’inspire que du dégoût », par le phénomène atavique : « Il a puisé la force déjouer un tel rôle dans sa haine de juif contre les gens de notre sang ; les désastres qu’il nous préparait, c’était, dans sa pensée, le triomphe définitif de sa race. » D’autant plus beau a été le spectacle « par la puissance du symbole : ce n’était pas un homme qu’on dégradait pour une faute individuelle, mais toute une race dont on mettait la honte à nu[3] ».

Ainsi se prolongeaient, comme des échos roulant de montagne en montagne, les outrages qui avaient assailli Dreyfus. Tâche effroyable que celle des collaborateurs, conscients ou inconscients, du crime ! À chaque instant il craque sur leurs têtes. Comment l’étayer ? Par d’autres mensonges, des montagnes d’impostures et de calomnies. Demain, cela ne suffira pas ; il y faudra d’autres crimes.

Il se trouva, au moins, un écrivain pour flétrir ces ignominies, et, comme un poète avait déjà réclamé pour l’accusé le droit d’être innocent, un autre poète réclama pour le condamné le droit de souffrir sans être insulté. Jean Ajalbert dit son horreur « des cris et des crachats de la foule », son dégoût de la cruauté des artistes et des gens de lettres, ne désarmant pas devant le supplice[4]. « On injurie Dreyfus d’avoir marché d’un pas ferme tout le long de cette abominable promenade ; on

  1. Autorité du 6 janvier
  2. Croix du 7.
  3. Libre Parole du 6.
  4. Gil Blas du 9.