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MERCIER


et qui revenait, si humblement, apporter lui-même sa marchandise, c’était quelque bas employé civil, quelque pauvre hère[1]. Comme il était question, dans une lettre de Panizzardi, d’un nommé Dubois[2], on fit surveiller un employé de ce nom, alcoolique, qui, effectivement, avait livré certaines choses à l’Italie, mais sans intérêt. On ne trouva rien. On suspecta alors un garçon de bureau du nom de Duchet, qui, lui aussi, était un ivrogne et avait éveillé les soupçons. Mais cette piste aussi fut bientôt abandonnée[3].

Ni l’une ni l’autre n’aurait dû être suivie, car les attachés italiens avaient pour habitude de démarquer les noms de leurs espions et d’en changer les initiales[4], quand ils ne leur donnaient pas un pseudonyme[5]. Il était donc certain que le nom de l’espion ne commençait pas par un D.

Cette fuite des plans directeurs irritait l’État-Major ; Sandherr et Cordier s’exaspéraient de n’en pas trouver

  1. Cass., I, 468. Trarieux. (Conversation avec l’ambassadeur d’Italie.)
  2. Cass., I, 371, Cuignet ; « Panizzardi, traitant visiblement d’une question d’espionnage, dit à Schwarzkoppen : « J’ai revu M. Dubois », en soulignant. » — Dossier secret, pièces 254, 320 et 322. (Cass., III, 356.)
  3. Rennes, 1, 83, Mercier. — Selon Mercier, il aurait lui-même ordonné ces enquêtes contre Dubois et Duchet. Cordier dépose que, « bien avant l’affaire Dreyfus, cette pièce avait servi à une surveillance exercée contre certains employés du ministère ». (Cass., I, 298.)
  4. Cass., I, 137, Picquart : « J’ai personnellement eu connaissance d’un espion dont l’initiale véritable était C., qui s’est présenté sous le nom de L. et que l’on a appelé M. »
  5. Cass., I, 468, Trarieux : « L’ambassadeur d’Italie m’a dit que D… n’était pas un employé de la guerre, mais un employé civil qui fournissait des cartes et plans topographiques assez difficiles à trouver dans le commerce. Cet individu avait des exigences d’argent exagérées. Les attachés le désignaient sous le nom de Dubois. » Le comte Tornielli ne connaissait lui-même que ce nom de guerre.
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