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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pour les édifier à cet égard ; mais il ne dit rien du coup de téléphone de Dupuy. Tout son mensonge s’écroule, au tintement de la sonnerie électrique[1].

Ainsi Lebrun-Renaud n’allait à l’Élysée que pour y être interrogé et chapitré[2] sur ses bavardages de la veille et sur l’article de Clisson, que, dit-il, il ne connaissait pas encore. Tandis qu’il attendait, dans l’antichambre, d’être introduit chez le Président[3], il entendit, derrière la porte capitonnée, quelqu’un qui disait : « Qu’est-ce que ce gendarme, qui trahit le secret professionnel et donne de la pâture à la presse ? Il pourrait lui en cuire d’une pareille indiscrétion[4]. » Il savait que ce n’était que trop vrai, baissait la tête. Il n’était point là pour recevoir des félicitations.

Enfin, Dupuy le fait entrer chez le Président de

  1. Ce petit détail, — s’il est de petits détails dans la recherche de la vérité, — est relevé ici pour la première fois. Il eût été du devoir étroit de Dupuy de rappeler ce fait à Mercier, quand celui-ci fit à Rennes sa déposition si imprudemment inexacte. Dupuy s’en souvenait, puisqu’il en avait déposé, le 26 décembre 1898, en son cabinet ministériel, devant la délégation de la Cour de cassation. Mais Dupuy se tut. Et personne alors n’eut l’idée de se reporter à sa déposition.
  2. « Il m’avait été envoyé, dépose Casimir-Perier, par le ministre de la Guerre pour que je lui fisse comprendre à quel point sa conduite me paraissait critiquable » (Rennes, I, 64).
  3. Rennes, III, 75, Lebrun-Renaud. — Cass., I, 281 ; Rennes, III, 96, Peyrolles.
  4. Cass., I, 281, Peyrolles. Ce témoin rapporte l’anecdote d’après Lebrun-Renaud lui-même, qui la lui conta, au mois de mai 1898, en allant à Versailles pour le second procès Zola. À Rennes, Peyrolles fait le même récit, avec une légère variante : « Ah ! ce sale gendarme, ce cogne… » (Rennes, III, 97.) — Lebrun-Renaud dépose : « C’étaient des mots comme ceux-ci : canaille, misérable. » (Rennes, III, 77.) Il rapporta d’une autre façon encore, le jour même, au colonel Risbourg, commandant de la garde républicaine, les propos qu’il aurait entendus, les attribuant d’ailleurs à tort à un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, Grumbach. C’était le chef du cabinet civil du Président, Paul Lafargue, qui s’exprimait, avec cette vivacité, sur le gendarme.