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HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS

Ils ont disparu depuis. Mais n’accusez de mensonge ni D’Aboville, ni Fabre. Ces mots, ils les ont vus, et ils les ont vus identiques dans les spécimens et dans le bordereau. Ils les ont vus des yeux du corps et des yeux de l’âme. Ils les ont vus comme toutes les mystiques ont vu les regards noyés d’amour de leur céleste amant, comme les extatiques ont vu la barbe blanche de Dieu, comme toutes les hystériques et tous les hallucinés ont vu, de leurs yeux vu.

Dès cette première heure s’opère le phénomène qui va dominer toute l’Affaire[1]. Ce ne sont plus les faits contrôlés, les choses examinées avec soin, qui forment la conviction ; c’est la conviction préétablie, souveraine, irrésistible, qui déforme les faits et les choses.

Désormais, on peut mettre ces hommes à la torture ou leur présenter le véritable auteur du bordereau, et celui-ci peut hardiment s’en reconnaître l’auteur : ils sont sûrs que le traître, c’est Dreyfus ; et ils mourront en le proclamant.

VI

Le drame, maintenant, va se précipiter avec une vertigineuse vitesse.

Les résultats de ces recherches parurent tels « que le colonel Fabre alla en rendre compte au général Gonse, et que celui-ci en prévint le général de Boisdeffre[2] ».

Boisdeffre, « très ému », mais forcé de s’absenter pendant une heure, prescrit au général Gonse « de

  1. Rennes, III, 767, Labori, Notes de plaidoirie.
  2. Rennes, I, 578, D’Aboville. — « Je montai immédiatement, dépose Fabre (I, 571), rendre compte au général Gonse. »