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LE BORDEREAU

XII

Du samedi 6 octobre, où l’État-Major découvre la ressemblance entre l’écriture du bordereau et celle de Dreyfus, à la matinée du lundi 15, où il sera arrêté, il y a huit jours. Quelle preuve, quelle présomption nouvelle est apparue pendant cette fiévreuse semaine ? Aucune, de l’aveu même de ses accusateurs. Et ils n’en ont même pas cherché. Ils ont cherché tout juste à faire ratifier leur certitude instantanée par deux experts. Y ayant échoué, ils passeront outre. Emportés par un vent de démence, ils continuent à s’exciter les uns les autres. Une seule pensée les tient : arrêter l’homme. Dès qu’il sera pris, il avouera. S’il n’avoue pas, il sera temps encore de s’enquérir d’autres preuves. Et qui oserait douter qu’on ne les trouvera pas, alors, par douzaines ?

Du Paty ne s’était pas attardé à un long examen ; au bout de vingt-quatre heures[1], il concluait, dans une note qu’il remit à Gonse : « En résumé, malgré certaines dissemblances, il y a entre les deux écritures une ressemblance suffisante pour justifier une expertise légale[2]. »

Conclusion d’ailleurs raisonnable. Mais, si la note de

  1. 7 octobre 1894.
  2. Selon Du Paty (Rennes, III, 506), « cette note, qui établissait sa bonne foi, a disparu des archives de la section de statistique ». Mais, dit-il, « elle a été vue par MM. les généraux de Boisdeffre et Gonse, et par M. Gribelin qui peuvent en témoigner ». Pourquoi, comment cette note a-t-elle disparu des archives ? Pourquoi le fait même de cette expertise de Du Paty a-t-il été dissimulé par les grands chefs ?