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ABANDONNÉE

était récompensée par la découverte d’une plante rare. Le soir, au retour, il se hâtait de gagner la tour où il pressait ses chères plantes, après les avoir montrées à sa mère qui se réjouissait de le voir joyeux.

Un jour de mai qu’il se trouvait assez loin du domaine, dans une plaine non encore visitée, il fut surpris par un orage d’une violence extrême, comme il en éclate subitement dans ces contrées montagneuses. Les roulements du tonnerre se succédaient sans interruption, et la foudre était tombée plusieurs fois non loin de lui, abattant de beaux arbres qui élevaient leurs puissants rameaux, où s’arrêtaient la brise et les oiseaux, il y avait quelques minutes à peine.

La chienne, affolée, marchait près de son maître, la tête basse, la queue entre les pattes, et c’est en vain que Roger voulait la rassurer ; elle tremblait affreusement à chaque détonation.

Soudain la pluie tomba en larges gouttes, très espacées tout d’abord, mais qui, d’après la grosseur et la noirceur de la nuée, menaçait de continuer, serrée et persistante.

— Il nous faut chercher un abri, ma Topaze, s’écria le comte ; il ne serait pas agréable d’être trempé à fond.

Et, accélérant encore son pas, il gagna une avenue de trembles menant à un joli castel qui s’ombrageait sous de beaux marronniers. Il passa la grille hospitalièrement ouverte, traversa la pelouse étoilée de corbeilles fleuries, et atteignit le perron de l’édifice, quand, le nuage crevant enfin, la pluie tomba avec une intensité extrême. Aussi le coup de marteau que Roger appliqua sur la porte d’entrée s’en ressentit-il, et fut un coup de maître.

Une petite servante, d’une quinzaine d’années, les yeux agrandis par la terreur, sous son mouchoir rouge noué pittoresquement autour de ses cheveux noirs, lui ouvrit d’une main tremblante.

— Je voudrais parler au maître de cette demeure, dit le comte.

— Il n’est pas là, Monsieur, balbutia la fillette.

Un terrible coup de tonnerre la fit se reculer en poussant un cri de frayeur, et le jeune homme en profita pour entrer avec Topaze dans le vestibule, et refermer la porte.

— Ne vous effrayez pas ainsi, mon enfant, vous n’êtes pas en danger ! Vous vous trouvez seule au château ?

— Non, Mademoiselle est au salon ; mais elle a bien peur aussi.

Et la petite bonne se bouchait les oreilles en se dissimulant derrière un immense palmier.

Une jeune fille pâle et blonde, dont la robe rose aux vaporeuses dentelles rehaussait encore la grâce, souleva la portière du hall. Dans ses grands yeux bleus se lisait une terreur aussi profonde que celle qui affolait sa compagne.

Roger courba sa haute taille très respectueusement devant elle, en s’excusant de s’être introduit avec ce sans-gêne.

— Cet orage en est la cause, Mademoiselle.

— Vous êtes le bienvenu aux Trembles, Monsieur, lui répondit-elle d’une voix harmonieuse, et d’autant plus que nous y sommes toutes seules, Étiennette et moi. Et ce tonnerre nous terrifie !

Un fracas épouvantable jeta les jeunes filles sur un canapé, les traits bouleversés, avec cette exclamation :

— Mon Dieu ! ayez pitié de nous !…

La foudre venait encore de zébrer le ciel.

— C’est le coup final, Mademoiselle, fit le comte, l’orage va s’éloigner ; la pluie a dégagé l’air de cette électricité qui vous effraye.

— Ah ! puissiez-vous dire vrai !

En effet, après quelques roulements sourds, tout bruit alarmant cessa ! Seul, celui de l’eau cinglant le toit et les vitres continuait de se faire entendre.

— Entrez au salon, Monsieur, dit la jeune fille.

Elle avait repris toute son assurance, mais sa pâleur décelait encore un certain trouble.

— Je suis très bien dans cette pièce, Mademoiselle, ma toilette n’est vraiment pas présentable !…

Et il jetait un regard embarrassé sur ses vêtements mouillés.

— Vous me voyez bien confus d’avoir été forcé de me présenter ainsi devant vous.

Puis il s’inclina et ajouta :

— Je suis le comte Roger de Peilrac, j’habite avec ma mère le château de ce nom, et je m’en suis éloigné ce matin pour herboriser dans ces parages.

— Je me nomme Marie Horman, répondit-elle avec un sourire ; je réside aux Trembles, près de mon tuteur, M. Kalmas.

La présentation étant faite, les jeunes gens prirent des sièges et causèrent gaiement, l’orage ne surexcitant plus les nerfs de Mlle Horman.

Roger montra les plantes destinées à l’herbier, les nommant à Marie, qui paraissait charmée d’en reconnaître quelques-unes.

Sur un mot dit tout bas par sa maîtresse, la petite femme de chambre était sortie. Elle revint bientôt portant un plateau sur lequel se trouvaient un flacon de vin de Moscatel, deux verres et une coupe de gâteaux.

Et les jeunes gens, avec cet appétit de la vingtième année, firent un goûter délicieux, agrémenté de gais propos et d’éclats de rire. Roger n’avait pas été aussi heureux depuis que la tristesse avait envahi sa demeure. Il regardait Marie, et sentait tout son cœur se prendre à sa douce beauté, à sa grâce charmeuse, son cœur qui n’avait jamais aimé et qui rencontrait enfin cet idéal qu’il désespérait presque de découvrir.

La pluie avait cessé depuis une demi-heure, qu’il était toujours là, dans cette salle hospitalière, aux meubles simples mais charmants, où s’épanouissaient des fleurs, près de cette jeune fille aimable et sans prétention. Elle lui laissait deviner une âme sœur de la sienne dans cette conversation sur la nature amie, qu’elle admirait comme lui. Aussi éprouva-t-il une grande joie quand elle lui dit en entendant un bruit de voiture :

— Voici mon tuteur, je vais pouvoir vous présenter l’un à d’autre.

Il pourrait ainsi la revoir un jour.

M. Kalmas était un beau vieillard aux yeux