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ABANDONNÉE

pleins de bonté, à l’épaisse chevelure aussi blanche que la neige. Il remercia Roger d’avoir rassuré sa pupille.

— Marie est si nerveuse, dit-il, qu’elle aurait pu en être malade.

— Mettez-vous à ma place, bon ami ! fit la jeune fille, avec une petite moue. Vous aviez quitté le logis en compagnie de Vincent ; la cuisinière était allée au village, et nous y restions seules. Et cela n’était pas très rassurant d’entendre ces roulements effrayants du tonnerre, de voir ces éclairs sillonner les nues. La foudre a dû éclater plusieurs fois.

— Je l’ai vue tomber trois fois avant mon arrivée aux Trembles, Mademoiselle, dit le jeune homme.

— Et moi autant du château de mon ami où la pluie me retenait, ajouta M. Kalmas, et bien malgré moi, je vous assure. Je pensais à ton isolement, mon enfant, et je craignais tout de votre affolement, car Étiennette est aussi brave que toi.

Il rit bruyamment, et les jeunes gens l’imitèrent.

— Et je te retrouve, devisant gaiement, en mangeant des petits gâteaux !

— Il fallait bien nous réconforter après notre inquiétude, fit-elle rieuse. Nous allons boire maintenant avec vous à la fuite de l’orage, si vous le voulez, bon ami !

Elle sonna, et la servante apporta un troisième verre. Mario en remplit deux, et versa quelques gouttes de la douce liqueur dans le sien.

Roger s’inclina, plein de courtoisie :

— À votre santé, Monsieur, à celle de Mademoiselle, à la joie de cette rencontre amenée par l’orage !

— À votre prompt retour parmi nous ! répondit M. Kalmas au toast aimable du jeune homme.

— J’espère que nous aurons aussi le plaisir de vous recevoir à Peilrac, Monsieur ?

— Certainement. J’irai présenter Marie à Madame votre mère, dont j’ai souvent entendu vanter l’inépuisable charité. J’ai lu certaines de vos œuvres littéraires, mon cher comte, et je suis heureux aujourd’hui de pouvoir vous serrer la main.

Ils échangèrent de cordiales salutations et se quittèrent avec la promesse de se revoir.

Roger reprit sa route, transporté de joie. En entrant dans le salon du château où sa mère l’attendait, inquiète, il l’embrassa follement, en lui criant d’une voix vibrante :

— J’ai trouvé la compagne rêvée, mère : réjouissez-vous !


CHAPITRE IV

LE BONHEUR RÊVÉ


Les relations amenées par le hasard se continuèrent, très amicales, entre les châtelains. Selon sa promesse, M. Kalmas était venu à Peilrac avec sa pupille. La comtesse avait fait fête à la jeune fille qui était bien aussi l’idéal de son âme pour ce fils tant aimé, et la mère de Roger sentait son cœur s’épanouir dans une douce joie.

— Si elle pouvait répondre à l’amour tendre et dévoué de Roger, se disait-elle, quelle tranquillité d’esprit pour moi qui le laisserais seul et désespéré si la mort arrivait inopinément. Un peu de bonheur luirait encore dans ce château, où me retiennent mes souvenirs ravis et poignants de jeune épouse, de mère et de veuve !…

Et c’est avec une tendresse de jour en jour plus grande qu’elle accueillait Marie, qui semblait aussi bien joyeuse de recevoir ces baisers de mère, dont elle avait été privée dès l’enfance.

Ses parents lui avaient été enlevés à quelques mois d’intervalle, la laissant seule au monde, puisque les rares cousins qu’elle possédait encore ne se soucièrent nullement de protéger ses jeunes ans.

Mais Dieu veillait sur l’orpheline. M. Kalmas, l’intime ami du grand-père de Marie, son frère d’armes, puisqu’ils avaient été officiers dans le même régiment, s’offrit spontanément pour remplacer les parents disparus.

Possesseur d’une certaine fortune, libre de son temps, l’heure de la retraite ayant sonné pour lui, le commandant Kalmas vint habiter les Trembles avec sa pupille. Dix ans s’écoulèrent dans une douce quiétude pour la petite fille et le vieillard. Il avait promis de ne pas s’en séparer ; il s’occupa à la fois de son instruction et de son éducation, ne voulant pas admettre un tiers entre eux. Ne s’étant pas marié, il se serait trouvé bien seul, sans cette affection qui le rattachait à l’existence, et dont il voulait jouir en avare : il avait si peu de temps à en profiter !

D’une nature d’artiste, ayant eu une instruction supérieure, le vieil officier sut mener son œuvre à bien, l’intelligence de l’enfant s’y prêtant, et à vingt ans Marie était une ravissante jeune fille, accomplie en tous points. Pourvue d’une belle fortune, elle avait été très recherchée déjà, mais M. Kalmas n’avait pas formé un petit chef-d’œuvre pour le confier au premier venu. Il voulait, avant de disparaître, remettre son plus cher trésor entre des mains dignes de le posséder, et il attendait, confiant. Il n’eut pas tort d’espérer, puisque la Providence lui adressa, un jour d’orage, le comte de Peilrac, bien digne d’aimer et d’être aimé.

. . . . . . . . . . . . . . .

Les douces fêtes des fiançailles furent bientôt joyeusement célébrées, et le soir de l’heureuse journée, lorsque le jeune comte quitta sa belle promise, il lui dit avec toute son âme :

— À toujours !…

— À toujours, répéta-t-elle comme un doux écho.

Ils se marièrent dans la petite église du village, par un beau jour de septembre, au ciel constellé de nuées aussi blanches, aussi diaphanes que la toilette de l’épousée.

Tout était fleurs, parfums, lumières, amitiés joyeuses autour des Jeunes gens qu’une même joie, une même piété agenouillaient à l’autel, où ils se promettaient un amour indissoluble.

La bénédiction nuptiale leur fut donnée par