Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/162

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notre esprit, de la nature et de Dieu même : notion mathématique, transcendante, qui précède toute instruction et même toute expérience. Quand vous dites : Dieu est juste, Dieu est bon, que faites-vous, sinon une des plus hautes et des plus hardies opérations de l’entendement ? Vous comparez Dieu à un modèle, son être à une nature idéale. Vous lui attribuez une perfection que vous concevez hors de lui en quelque sorte ; tant le primitif est pour l’esprit hors d’existence et en essence seulement ! Et cette haute opération, cette opération si hardie, le moindre esprit la fait sans cesse, sans effort, que dis-je ? Inévitablement. Les idées ! Les idées ! Elles sont avant tout, et précèdent tout dans notre esprit.

Platon a tort : il y a des choses qui se communiquent et qui ne s’enseignent pas ; il y en a qu’on possède manifestement, sans pouvoir les communiquer. à la rigueur, peut-être, on n’est savant que de ce qui peut être enseigné ; mais on peut être doué d’un art qui ne saurait être transmis : tels le coup d’œil, l’instinct, le génie ; tels aussi peut-être l’art de connaître les hommes, et celui de les gouverner.