Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/22

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« voir! » Combien d’hommes de lettres, avant de rencontrer l’idée que devait féconder leur génie, se sont égarés comme lui à la poursuite de feux follets décevants et insaisissables !

Ainsi trompé sur la valeur des données littéraires de Diderot, ne se méprenait-il pas également en attribuant à ses doctrines philosophiques plus d’influence qu’elles n’en exerçaient réellement sur son esprit ? Il est au moins permis de le croire. On comprend très-bien, en effet, qu’il s’abandonnât un moment aux séductions d’une société dont l’intelligence hardie, renversant les matériaux du vieux monde, se mettait bravement à reconstruire un monde nouveau. Il y avait, dans cette lutte de l’esprit d’une époque contre l’esprit des siècles passés, quelque chose d’audacieux et de puissant qui ne pouvait manquer d’échauffer, au moins à la surface, une imagination curieuse de mouvement et de nouveauté. Mais d’où vient que le journal de M. Joubert, confident habituel de ses pensées les plus intimes, laisse à peine découvrir levestige des opinions qu’il s’est reproché plus tard d’avoir partagées ? D’où vient qu’au milieu des aperçus de toute nature qui s’y trouvent jetés pêle-mêle et à la hâte, on rencontre d’innombrables sentences dignes de l’école du Portique ou de l’école des Pères, et presque aucune de celles qui composaient le symbole de la pléïade philosophique ? Ce recueil où, sous des formes diverses, sont fidèlement consignées les impressions reçues pendant une longue vie. aurait-il été épuré dans les derniers temps ? L’auteur aurait-il fait disparaître les passages où dominaient des principes qui n’étaient plus les siens ? En présence des manuscrits qu’il a laissés, une telle supposition ne sau