Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/24

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et les sympathies de l’intelligence. Etaient-ce pourtant leurs ressemblances ou leurs contrastes qui les réunissaient ? Grande question qu’on retrouve au seuil de toutes les amitiés, et qui semble plus facile à poser qu’à résoudre. N’est-il pas permis de penser, néanmoins, qu’un sérieux attachement n’est possible, entre des hommes éminents, qu’à la condition d’une certaine égalité de talents, établie par des compensations plutôt que par des rivalités, et d’une certaine différence dans les goûts, adoucie par une complaisance réciproque et une mutuelle admiration ? Tels étaient, du moins, les caractères de cette intimité.

Nourris de l’antiquité l’un et l’autre, ils la regardaient comme la plus noble expression de l’intelligence humaine, et cherchaient ensemble à en retrouver les secrets, à en reproduire les merveilles. Mais, dans ce commun effort, ils s’animaient de sentiments divers. M. deFontanes songeait à l’illustration que procurent les lettres, pendant que M. Joubert s’inquiétait de perfection bien plus que de gloire. Le premier étudiait les poetes, le second se sentait entraîné vers les philosophes, ou du moins il cherchait de la philosophie où son ami cherchait des vers. L’un, prenant l’antiquité par son côté le plus grave, en interrogeait l’expérience, en écoutait les leçons afin d’y conformer sa vie ; l’autre en étudiait surtout les habitudes poétiques, les procédés et les délicatesses littéraires pour les approprier à ses œuvres. Tous deux, enfin, couraient dans la même lice, pleins d’émulation et de curiosité ; mais ils pouvaient s’encourager de la voix et du regard, car ils tendaient vers un but différent et ne risquaient point de se heurter dans la carrière.

Ils n’étaient pas d’ailleurs toujours d’accord sur le