Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mérite des livres et sur les règles de la composition littéraire. Héritier des doctrines du siècle de Louis XIV, M. de Fontanes ne comprenait pas de plus belle gloire que celle d’imiter et de faire revivre ses grands écrivains, en demandant comme eux à la muse française de revêtir les couleurs des muses grecque et latine. Pendant qu’il s’abandonnait avec confiance, avec paresse peut-être, à cette sorte d’inspiration d’emprunt, reflet un peu terne de l’éclat antique, M. Joubert se plaignait de ce que les écrivains montraient moins de spontanéité que de déférence aux modèles. Il voulait que toute œuvre de l’art offrît, comme les traits du visage humain, ce caractère distinct et personnel qui sépare chaque individu des individus qui l’entourent. Dans le livre, enh’n, il cherchait l’homme et se détournait quand il ne le trouvait pas.

Avec de telles réserves on devient un juge difficile ; aussi M. de Fontanes s’irritait-il souvent des froideurs qu’opposait son ami à des admirations moins exigeantes. Je n’ai le droit d’en blâmer M. Joubert ni de l’en défendre ; mais je me demande si tant de sévérité ne s’expliquerait pas par cette simple parole dite par lui quelques années plus tard, « qu’il faut éviter dans toutes les opérations littéraires ce qui sépare l’esprit de l’âme. » L’esprit, il me semble, c’est quelque chose de. palpable et qui se trouve presque à la surface. On le voit, on le touche, il se communique aisément. C’est lui qui nous défraye dans les relations du monde, dans la conversation, dans les affaires ; il suffit pour placer un homme trèshaut dans l’estime de son temps ; il fait la fortune de beaucoup de livres, et j’en sais, même parmi les fameux, qui ne vivent que par lui. Mais l’âme, c’est la substance