Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/303

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encore quelques philosophes. Ils font consister la vérité à ne rien dire qu’ils ne puissent prouver. Ils l’aiment et la considèrent comme une prérogative, une dignité, une sorte d’affranchissement personnel. Persuadés que tous leurs sentiments sont la vertu même, et toutes leurs pensées la vérité, ils se croient magistrats nés, législateurs par nature, et, comme tels, non-seulement autorisés, mais obligés à répandre leurs opinions.

Oui, la vérité de Dieu est toujours utile à la société, parce qu’elle est toujours vérité ; mais la vérité de l’homme n’est souvent qu’erreur, parce que l’esprit de l’homme est faillible. Tout honnête homme, s’il a des opinions nouvelles, ne doit se permettre de publier que celles qui, éprouvées par l’avis des esprits bien faits, sont évidemment innocentes et évidemment utiles par elles-mêmes. L’utilité surtout peut fixer son indécision, car elle est un des caractères de la vérité ; elle en est le corps, comme la clarté en est l’ombre.

La clarté dans une opinion est la manifestation visible de la vérité ; l’utilité en est la manifestation palpable.