Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/40

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fiions ouverts à l’investigation humaine. Il aborde tour à tour les orateurs, les poëtes, les philosophes, impatient, comme il l’écrit un jour, « d’être quitte des opinions « d’autrui, de connaître ce qu’on a su et de pouvoir être « ignorant en toute sûreté de conscience. » À la bonne heure ; mais il me semble qu’il cherchait encore autre chose. Il lui fallait plus d’espace qu’il n’en trouvait dans les livres ; son œil sondait de plus lointaines perspectives, et, s’il avait tant de hâte d’atteindre les limites où se sont arrêtées la poésie, la philosophie, la science humaine, c’est qu’il voulait, j’imagine, avoir le loisir et le droit de regarder au delà.

Je l’avouerai, toutefois, il n’était pas entièrement désabusé des droits de l’imagination et du pouvoir de l’hypothèse dans l’ordre des connaissances qui se sont peu à peu détachées du domaine de la philosophie antique pour former l’apanage de nos sciences diverses. À la suite de Platon, d’Aristote ou d’Erasme, son esprit curieux ne se refusait pas les excursions lointaines au travers des merveilles du monde et des mystères de la création. Il aimait à parcourir ces grands espaces, abordant les éléments, le feu, la terre et le ciel et les eaux, sans trop s’embarrasser des outils de la science, sans charger son bagage de cornues ou d’équerres, de télescopes ou de compas. C’était alors surtout que, confiant aux libres élans de la conjecture, il s’animait d’une sorte d’humeur contre les procédés rigoureux de l’analyse moderne, et cherchait querelle aux savants de lui gâter son univers par toutes sortes d’entraves mises aux allures des esprits voyageurs. On eût dit que, semblable à ces Gentils qui, tout en se soumettant à l’empire de