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Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/41

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la croix, quand le vrai Dieu apparut au monde dans son austérité douce et nue, pleuraient en secret les poésies de l’Olympe vaincu, il voulait, de sa main tendue en arrière, arrêter l’antiquité dans sa fuite, et s’attacher à sa robe pour ne la pas quitter.

Ces regrets cependant, cette haute contemplation ne l’arrachaient pas aux jouissances simples et paisibles du foyer. Il savait allier la vie intérieure à la vie philosophique, le sentiment à la méditation. Son séjour à Villeneuve n’avait rien changé aux habitudes de la famille dans laquelle il venait d’entrer. Elle comptait seulement un frère de plus, frère qu’elle entourait d’une affection chaque jour plus vive, car il n’apportait dans la communauté que désintéressement, égalité d’humeur et bienveillante joie. Nul homme, en effet, n’avait un commerce plus facile ; nul n’était plus doux et plus commode à ses amis. À cette époque surtout où son existence solitaire venait de finir et où l’avenir se montrait à lui sous de riantes couleurs, sa faculté d’aimer et d’être heureux, faculté rare qu’il avait reçue du ciel à un merveilleux degré, débordait, si je puis dire, sur tout ce qui rapprochait, en tendres effusions et en caressantes paroles ; ce fut dans ce temps que prit naissance une des affections les plus vives qui aient charmé sa vie.

Dans un château situé entre Villeneuve et Sens, s’étaient réunies deux familles opulentes, celles de M. de Sérilly, trésorier général de l’extraordinaire des guerres et de *M. de Montmorin, ancien ministre des affaires étrangères. Elles avaient fui Paris, pour se soustraire aux dangers qui menaçaient alors tous les genres de supériorités. Il semblait qu’à la faveur d’une réclusion volontaire et