Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/44

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émue des petites choses, elle se passionnait pour les grandes. « Elle aimait le mérite », au dire de M. Joubert, « comme d’autres aiment la beauté », et dès qu’elle le rencontrait sur ses pas, elle s’y attachait avec une constance sur laquelle ni le temps, ni les événements ne pouvaient prévaloir.

C’était à cette promptitude à admirer, a cette fidélité dans ses affections, qu’un homme d’esprit, M. de Rulhière, faisait allusion, un jour que, renouvelant pourelle la galanterie jadis imaginée par lui pour madame d’Egmont, fille du maréchal de Richelieu, il lui annonçait l’envoi de son portrait et joignait à sa lettre un cachet où il avait fait graver un chêne avec cette devise : « Un rien m’agite, « et rien ne m’ébranle. »

En écrivant ces lignes, j’ai sous les yeux quelques lettres de madame de Beaumont a M. Joubert où se montrent à la fois et son dévouement pour ses amis, et sa lutte mélancolique et gracieuse contre les rigueurs du sort.

« M. Desprez m’a dit hier, » lui écrivait-elle, « que « vous étiez bien mécontent de votre santé. Personne « assurément n’est plus en mesure que moi de vous « plaindre ; mais n’est-ce pas un chagrin poignant de « penser qu’on ne peut ôter a ses amis la plus légère « douleur, même en consentant à en être accablé, dûton fléchir sous le poids I Au moins suis-je sûre que « vous avez du courage, et cette pensée me console. « Quant à moi, je vous ferais pitié. J’ai retrouvé ma solitude avec humeur ; je m’occupe avec dégoût ; je me « promène sans plaisir ; je rêve sans charme, et je ne puis « trouver une idée consolante. Je sais bien que cet état « ne peut durer longtemps ; mais la jeunesse se passe ;