Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/70

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comme au-dessus des hommes quant aux règles éternelles et aux forces suprêmes qui la dominent. 11 aimait à ne s’en point mêler, et s’irritait de voir à tant de gens la prétention contraire. Mais son irritation était toute philosophique. Ces passions stériles, « ces voracités sans « proie », ainsi qu’il les avait énergiquement signalées dans une lettre à madame deBeaumont, étaient à ses yeux un mal digne de pitié, une sorte d’infirmité morale qu’il fallait plaindre sans lui subordonner ses affections. Los siennes n’en éprouvaient point d’atteinte, et si quelques amis, comme son jeune parent M. Mérilhou, comme M. Molé, ou mon père lui-même, le visitaient plus rarement, moins attirés peut-être dans un salon qu’envahissaient, en ces derniers temps, des opinions qui, malgré l’exemple du maître, se montraient peu soucieuses de conciliation, il avait le rare bonheur d’arriver au terme de la vie sans avoir perdu une des amitiés formées pendant la route.

Il me serait doux de m’étendre sur ces liaisons en de plus longs détails ; mais la publicité a des bornes qu’il faut savoir respecter : je ne veux pas exposer a l’indifférence de la foule des noms qui nous sont demeurés chers, et je m’arrête, satisfait d’avoir pu montrer M. Joubert encore une fois entouré de ses plus illustres amis. Il m’a semblé que je le devais à plus d’un titre, car si c’a été la gloire de sa vie d’être aimé d’eux, un jour peutêtre ce sera une part de leur gloire d’avoir été aimés de lui. Pouvais-je d’ailleurs raconter une existence où les faits tiennent si peu de place, sans donner le premier rang aux affections qui l’ont occupée 1 Homme de lettres, je me serais avant tout efforcé de reconstruire par l’ana