Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/19

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assez les ramener au contour. Il semblait s’être fait une loi rigoureuse de n’imiter que la vérité, telle non-seulement que les yeux peuvent la voir, mais telle que les mains pourraient la toucher. On eût dit qu’il ne traitait les passions que pour donner un plus grand nombre de modifications, d’inégalités et d’empreintes à la surface de ses statues. Ce qui le frappait, dans les corps animés, ce n’était pas cette forme fugitive et déliée qui semble les environner dans leur ensemble, ni ces formes idéales et molles dont ils sont comme empreints à chaque trait, et qu’un philosophe appelait des apparences de l’âme. Il y considérait d’abord ces lignes déterminées qui séparent l’individu, le concentrent en lui-même, et le détachent, pour ainsi dire, de l’air qui nous embrasse et nous lie à l’univers. Il était comme amoureux d’une sorte d’excès dans l’expression. On voit presque toujours, dans ses ouvrages, les deux états extrêmes de la vie humaine, celui où la nature, animant le corps avec vigueur, en fait saillir toutes les parties, et celui où, l’abandonnant, elle les découvre et les désunit. Sans doute il a peint quelquefois la beauté, mais non cette ravissante beauté d’un corps " hôte d’une belle