Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

295 lire quelque piece justifieative a l’appui de chaque air? Ecrivain en prose , M. de Chateaubriand ne ressemble point aux autres prosateurs; par la puissance de sa pen- sée et de ses mots , sa prose est de la musique et des vers. Qu’il fasse son metier : qu’il nous encbante. Il rompt trop souvent les cercles traces par sa magie; il y laisse entrer des voix qui n’ont rien de surhumain , et qui ne sont bonnes qu’a rompre le charme et a mettre en fuite les prestiges. Ses in·folios me font trembler. Recom- mandez-lui , je vous prie, d’en faire ce qu’il voudra dans sa cbambre, mais de se garder bien d’en rien transpor- ter dans ses operations. Bossuet citait, mais il citait en chaire, cn mitre et en croix pectorale; il citait aux per- suades. (les temps-ci ne sont pas les memes. Que notre ami nous raccoutume a regarder avec quelque faveur le christianisme; a respirer, avec quelque plaisir, l’encens qu’il olfre au ciel; a entendrc ses cantiques avec quelque approbation : il aura fait ce qu’on peut faire de meilleur, et sa teche sera remplie. Le reste sera l’¢nuvre de la reli- gion. Si la poesie et la philosophic peuvent lui ramener l’homme une fois , elle s’en sera bientot réemparée, car elle a ses séductions et ses puissances, qui sont grandes. 0n n’entre point dans ses temples, bien prepare, sans en sortir asservi. Le difficile est de rendre aujourd’hui aux hommes l’envie d’y revenir. C’est a quoi il faut se bor- ner; c’est ce que M. de Chateaubriand peut faire. Mais qu’il ecarte la contrainte; qu’il renonce aux autorités · que l’on ne veut plus reccnnaltre; qu’il ne mette en usage que des moyens qui soient nouveaux, qui soient siens exclusivement, qui soient du temps et de l'auteur. ll me faut du nouveau, n‘en fut-il plus au monde , Digiiized by Gccgle