Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/335

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$@7 mon esprit. Je ne sais si je pourrai bien m’expliquer. Il y a, selon moi, dans tout homme , deux choses qu’il faut y distinguer soigneusement : son organisation et sa constitution. En supposant l'homme automate, fappellerais organi- sation les ressorts de la machine, et constitution sa ma- tiere. Or mes ressorts sont excellents, ce me semble; mais Ie· bois dont je suis construit est fréle, mou, délicat. Il nuit ‘ souvent au jeu de ma machine; souvent méme il lui rend impossibles les mouvements ou elle est le plus portée, et auxquels elle est le plus propre. . Ce qui sert a la pensée abonde en moi, mais ce qui sert a la vie est en petite quantité. Vous me disiez , au beau milieu du Pont-Royal , la derniere fois que nous nous sommes vus, que je m’atTectionnais trop a tout ce que je faisais; oui, et trop a tout ce qui m’oecupe. De la nais— sent je ne sais quelles déperditions, qui ne peuvent étre réparées que par la cessation subite de l’opération qui mla lasse; de la, comme vous le sentez, une grande irregula- rité et des discontinuités fréquentes dans mes communi- cations intellectuelles. Que si je veux forcer ma nature , je produis des apparences sans réalité; j’écris ou je parle sans rien dire; ma plume et ma langue se remuent, mais ma pensée et mon sentiment ne s’expriment pas; je ne fais que de vains elforts, beaucoup plus propres a mécon- tenter ceux qui me lisent ou m’écoutent, que ne le se- rait mon inaction ou mon silence. _ Voila, depuis que je suis ne, la cause et la seule origine des inégalités que j’ai toujours eues dans mes relations. , On me croit paresseux; je vous jure en toute vérité que ie ne le suis point. Ic ne suis pas changcant non plus; je ‘ Digiiizod by Gccglc