Page:Joubert - Pensées 1850 t2.djvu/412

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wi Elle avait de l'orgueiI, sans doute, mais un orgueil tout en lointains et en suppositions, fiere, non de qu’elle etait, mais de ce qu’elle pourrait devenir, avec le temps et lc travail. Cet orgueil ne blessait personne; on aimait a le caresser. Ceux a qui leurs epreuves et une exacte cou- naissance de soi-meme, moins rare alors qu’elle ne peut l’etre aujourd’hui , interdisaient ces esperances et ces brillantes perspectives , se repliaient sur le passe. Ils cultivaient en eux , avec delices , les semences de morale et de bon gout qu’iIs avaient recues; ils entretenaient leur memoire de ce qu’ils avaient appris ou entendu dire de plus beau; et , contents de pouvoir comprendre quel- ques bons livres , de pouvoir converser avec quelques bommes d’esprit , ils avaient quelque part aux felicites ` litteraires. Ce bonheur n’etait impossible a personne. ll ` n’y avait point d’ecolier, quclque mediocre qu’il put etre, qui fut absolument neglige et abandonne par ses maitres; on cultivait de chaque esprit ce qu’on en pouvait cultiver, et on n’en laissait aucun d’illettre et d’incapable d’ad- mirer. I C’est par l’ell'et d'une telle education, c'est par cette succession non interrompue de generations , non pas sa- vantes , mais amies du savoir, et habituees aux plaisirs de l’esprit, que s’etaient multiplies en France, pays du | monde on cette education etait le mieux donnee, et peut- etre le mieux recue, a cause de la tournure d’esprit na- turelle a ses habitants, ces caracteres ou rien n’excellait, mais on tout etait exquis dans son obscurite; cette reu- nion de qualites Oil tout charmait, sans que rien y fut di- stinct; ce temperament moral singulier, que le. philoso- phe suisse de Muralt croyait particulier a nos climats, ct qui servait a former ce qu’0n appelait propremcnt des

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