Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/103

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Halle, qui a consacré une très remarquable brochure à la Poésie provençale contemporaine. [1]

« C’est, dit M. Boehmer, une opinion très répandue, et qui a été vulgarisée même dans le Midi de la France par l’enseignement des écoles, que la langue qu’on y parle aujourd’hui ne serait autre chose qu’un patois du français. Cela est à peu près aussi vrai que si nous voulions soutenir que le danois est de l’allemand (Plattdeutsch). Un linguiste parisien, qui a fait des études sur la vieille littérature française, me disait, un jour que la conversation était tombée sur le néo-provençal : c’est du français, avec des désinences nouvelles. Je dirais plus volontiers, répondis-je : le français et le provençal sont l’un et l’autre du latin sans désinences.

« Si le provençal est un patois du français, continue M. Boehmer, l’espagnol et l’italien sont aussi des patois français. Considère-t-on au contraire l’italien, l’espagnol et le français comme trois langues distinctes, le provençal en est une autre. Le même rapport qui existe entre le français actuel et lé vieux français, existe également entre le néoprovençal et le vieux provençal, et les deux développements, aussi loin que nous pouvons les poursuivre, restent parallèles. Il n’est jamais venu à l’idée de personne d’affirmer que la langue dans laquelle sont composés les puissants chants de guerre de Bertran de Bom n’est qu’un patois de la langue française que parlait son contemporain Chrestien de Troyes. Tout aussi peu la littérature qui fleurit maintenant dans la langue des troubadours appartient-elle à un patois français. Par conséquent, conclut M. Boehmer, le provençal, par son indépendance linguistique, et avec son existence littéraire presque dix fois séculaire, peut fièrement, au point de vue des origines, traiter d’égal à égal avec le français, aussi bien qu’avec ses autres grandes sœurs romanes, les langues italienne, espagnole et portugaise. »

  1. Die Provenzalische Poesie der Gegenwart, Halle 1870.