Ces arguments sont inattaquables au point de vue linguistique. Mais est-ce que la langue est le tout d’une littérature ? Et faut-il ne compter pour rien les idées, les sentiments, le tour d’esprit? Leibniz a écrit la plus grande partie de ses œuvres en français: cesse-t-il pour cela d’être un penseur allemand ? et devous-nous l’annexer purement et simplement à notre littérature ? Encore peut-on soutenir que les philosophes, qui expriment des idées abstraites et générales, n’appartiennent vraiment à aucun pays et sont citoyens de l’univers. Mais les poètes, qui expriment des images concrètes, des sentiments particuliers on héréditaires, sont plus profondément enracinés dans le sol qui les a produits, et à moins de soutenir que la Provence n’est pas un morceau de la France, que la race provençale n’est pas une race française, je ne vois pas comment on peut opposer si complètement la poésie néo-provençale à la poésie française. Ce pas, M. Boehmer n’est pas loin de le franchir, si j’en juge par le première phrase de son opuscule. « Tandis que r Allemagne, dit M. Boehmer, privée d*unité politique ou plutôt politiquement désunie (n’oublions pas, pour comprendre cette phrase, qu’elle a été écrite dans les premiers mois de l’année 1870) possède l’unité nationale, la France possède une forte unité politique, mais elle n’a en aucune façon l’unité nationale : car la nationalité est reconnaissable à la langue. M. Boehmer est évidemment placé sous l’influence de la théorie linguistique des nationalités, qui, au moment où son ouvrage a été publié, a joué un si grand rôle dans les esprits en Allemagne. Cette théorie, il ne m’appartient pas de la discuter, et il me suffira de recommander, à ceux d’entre vous qui désireraient sur ce point des renseignements plus circonstanciés, la lecture de la belle conférence faite par M. Renan sur ce sujet : Qu’est-ce qu’une nation ? En tout cas, je puis donner une réponse très précise et très catégorique à ceux qui voudraient savoir ce qu’il faut penser des tentatives ou des
