Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/106

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été absolument heureux, d’un bonheur sans nuages, comme les mariages des contes de fée, et c’est à quoi pensait Roumanille, le plus illustre après Mistral de nos poètes occitaniens, lorsqu’il disait, dans les derniers moments de son agonie : « C’est que nous ne sommes pas des vaincus, nous autres; nous nous sommes donnés, par ce que nous avons voulu nous donner. »

Il faut donc renoncer, une bonne fois pour toutes, à ces fantaisies et à ces arguments surannés. Les philologues diront ce qu’ils voudront: ils ne nous empêcheront pas, nous. Gascons et Provençaux, d’être Français au même titre que les habitants de l’Île de France ou de la Normandie. Et s’il est vrai que nos écrivains et nos poètes ont un tour d’esprit original, et une saveur native dans leur langage, tant mieux ! la littérature française n’en sera que plus variée et plus riche. Est-il donc nécessaire que les Français soient tous coulés dans le même moule? Le Midi a donné quelques grands écrivains à la France du Nord, depuis Florian jusqu’à Alphonse Daudet. Et pour ne parler que de ce dernier, qui est, je le sais, particulièrement goûté en Allemagne, qui donc oserait dire qu’il n’est pas foncièrement français, que ses qualités d’esprit, sa grâce, sa précision, son imagi- nation charmante et vigoureuse, ne sont pas de la même essence que les qualités d’esprit d’un Parisien , d’un Fr. Coppée par exemple, ou pour remonter plus haut, d’un Marivaux ou d’un Racine? Et pourtant personne n’incarne la race provençale à un plus haut degré qu’Alphonse Daudet. Je citerai également Paul Arène, qui moins connu, surtout en Allemagne, qu’Alphonse Daudet, mérite de l’être tout autant. Il n’y a pas d’écrivain plus fin, plus délicat, plus savoureux, même quand il confine à la préciosité, que l’auteur de la Gueuse parfumée ; disons le mot, il n’y a pas d’écrivain plus français. Eh bien! lorsque Paul Arène, ou même Alphonse Daudet, écrivent en provençal, cessent-ils d’être français ? Parce qu’ils manient une langue qui,