Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/109

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J’ose même dire qu’en général vous êtes mieux renseignés sur le mouvement littéraire en langue d’oc qu’on ne l’est dans la France du Nord, et peut-être même à Paris. Mes compatriotes sont étonnés quand ils apprennent par hasard que les œuvres de leurs écrivains sont étudiées, commentées, traduites et vivement appréciées par les Allemands. Votre sympathie est acquise d’avance à ces essais de décentralisation littéraire. N’y a-t-il pas aussi chez vous une renaissance des dialectes locaux ? La faveur dont jouissent en Allemagne nos poètes provençaux, la curiosité légitime dont ils sont l’objet, me dispensent de vous présenter et d’analyser leurs ouvrages par le menu. Je laisse de côté l’œuvre accomplie en Gascogne par Jasmin, le poète barbier, et je me borne à rappeler quelques faits qui ont marqué en Provence l’avènement de la poésie nouvelle.

Il y avait à Marseille, par une sorte de tradition qui remontait assez loin, toute une école de poètes et de chansonniers qui se donnaient à eux-mêmes le nom de Troubaire (trouvères ou troubadours). Les plus remarquables sont Fortuné Chailan et Victor Gelu. Les chansons de Victor Gelu (1806-1885), d’un réalisme brutal et même grossier, traduisent admirablement les mœurs des ouvriers des ports, et de ces voyous d’une espèce particulière qu’on appelle à Marseille des nervis. Je vous assure qu’en lisant ces farouches et géniales chansons on trouve bien pâles les exercices de rhétorique auxquels s’est livré Jean Richepin, sous prétexte d’écrire la Chanson des Gueux. La véritable chanson des gueux, c’est V. Gelu qui l’a écrite.

« Mais tous ces hommes, dit M. Astruc, poètes ou écrivains, semblaient oublier que leur langue était une langue historique, et soit comme orthographe, soit comme lingui- stique, ils l’estropiaient sans pitié. Je ne sais si c’est de parti pris que ces auteurs traitaient ainsi leur langue (je ne puis croire que ce fut par ignorance), mais ils ne se souvenaient pas que les troubadours, les anciens, l’avaient