de Musset, le poète favori de nos jeunes gens, et qui mérite bien leur affection par son insouciance, sa légèreté, ses passions et ses désespoirs, — d’Alfred de Vigny, l’admirable poète des Destinées, le plus philosophe peut-être de nos poètes, et le plus impeccable de nos écrivains. Mais je suis obligé de me restreindre, et puisque je veux surtout vous renseigner sur le mouvement poétique contemporain, je ne puis pas m’attarder, quelque charme d’ailleurs que le sujet puisse m’offrir, sur ces noms que je viens d’évoquer, et qui tous appartiennent déjà à l’histoire du passé. Je ferai pourtant une exception pour Victor Hugo. De tous les grands noms qui ont illustré la période héroïque du romantisme, c’est le seul qu’il me plaise de retenir, et je vais vous dire brièvement les raisons de ce choix.
Ce n’est pas qu’à certains points de vue, Hugo ne puisse pas être considéré comme un homme du passé. Je dois même dire qu’il gagne à ce recul, et qu’à de certains moments il faut l’étudier non-seulement comme un homme de la Restauration, mais comme un ancien, comme un contemporain d’Homère ou de Pindare. Mais à un autre point de vue, Victor Hugo est notre contemporain, beaucoup plus que Lamartine et Alfred de Vigny. Il a laissé dans notre poésie, et même dans notre pensée, une forte empreinte, une trace ineffaçable. Tous ceux qui de nos jours s’occupent à manier la langue des vers se sont formés à son école, les uns pour s’inspirer de ses procédés, les autres pour s’y soustraire. Oui, même les décadents et les symbolistes ne cherchent de nouvelles combinaisons que pour échapper à sa tyrannie, qu’ils considèrent comme insupportable. Hugo inspire à la fois ses disciples et ses adversaires. Les poètes peuvent dire de lui ce que Spinoza disait de Dieu : In illo vivimus et sumus. Otez Hugo de la poésie contemporaine, et elle devient inintelligible. Voilà pourquoi tout d’abord je consacrerai deux conférences à l’influence exercée par ce Maître des maîtres.
