Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/24

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Je soutiens donc, — et c’est le second point que je voulais indiquer, la raison d’intérêt pédagogique que je me propose de faire ressortir — que l’introduction dans les classes des poètes français du XIXe siècle, comme textes d’explication et de leçons à apprendre par cœur, s’impose comme un progrès nécessaire. En France, ce progrès est depuis longtemps un fait accompli, grâce aux lectures désintéressées dont je parlais tout-à-l’heure, et dont la tradition n’est pas complètement perdue. Mais il n’y a pas très longtemps que ces poètes ont fait dans nos classes ce qu’on pourrait appeler leur entrée officielle. Ils commencent à être indiqués dans les programmes à partir de 1885. « Toutefois, ajoute-t-on, les professeurs ne devront les admettre qu’avec la plus grande prudence… » La recommandation a été jugée superflue dans les programmes de 1890, et nos poètes contemporains sont largement représentés dans les extraits qu’on met entre les mains de nos élèves ; ils figurent en outre dans presque tous les programmes de licence et d’agrégation. Ici, en Allemagne, je sais que depuis 1884, vos élèves possèdent une édition abrégée de V. Hugo, la meilleure chrestômathie qu’on ait faite de ce poète, au jugement de M. Paul Stapfer, et de cette initiative, de ce progrès qui révèle une entente remarquable de la pédagogie et un sens délicat de notre littérature, vous me permettrez de féliciter l’auteur de cette édition scolaire, le Prof. Martin Hartmann.

On peut se demander si cette innovation contribue réellement à la gloire de nos poètes, et si les poètes eux-mêmes doivent la désirer. Pour beaucoup de professeurs, et non des moins consciencieux, expliquer un auteur même un poète, ce n’est pas en faire sentir les beautés par la lecture, la justesse de l’intonation, c’est décomposer une phrase en propositions, la désarticuler, l’éplucher, l’envelopper de commentaires. Que devient en tout cela le sentiment poétique ? Comme le disent très-justement les instructions de 1890, « ce n’est plus une strophe de Corneille, de Lamartine