Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/35

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Eh bien ? après ? qu’est-ce que cela prouve ? Si quelqu’un avait le droit d’avoir le sentiment de sa supériorité, n’était-ce pas Victor Hugo ? « Le prétendu orgueil du grand poète, écrit Leconte de d’Isle, n’est autre chose, au fond, que l’aveu pur et simple qu’il est Victor Hugo, ce qui est incontestable. » Depuis quand la modestie est-elle l’apanage du génie ?

« Je sais ce que je vaux et crois ce qu’on m’en dit. »


Qui a écrit ce vers orgueilleux ? Est-ce V. Hugo ? Non, c’est Corneille. Ce qu’on appelle l’Olympisme de Gœthe, l’empêche-t-il d’être le plus grand, le plus merveilleux des poètes ? Il faut prendre son parti de certains défauts inhérents à l’humanité, et au lieu de les blâmer, de les fustiger, comme le font les polémistes, mieux vaut chercher à les expliquer, comme il convient à un critique. M. Ch. Renouvier explique ce sentiment de supériorité chez le poète 1° par les flatteries du milieu où il a toujours vécu, 2° par l’habitude qu’il avait de tout imaginer, de tout inventer par lui-même, au risque de tomber dans l’erreur et dans l’absurdité, ce qui lui donnait l’illusion d’un génie universel et absolument spontané, 3° par la haute idée qu’il se faisait des fonctions du poète, et qui se résume dans ce qu’on appelle son magisme. <poem style="margin-left:4em; font-size:100%">

« Pourquoi donc faites-vous des prêtres Quand vous en avez parmi vous ? Les esprits conducteurs des êtres Portent un signe sombre et doux. Nous naissons tous ce que nous sommes. Dieu de ses mains sacre les hommes Dans les ténèbres des berceaux ; Son effrayant doigt invisible Écrit sous leurs crânes la bible Des arbres, des monts et des eaux… » Cette admirable pièce des Mages, composée de soixante et onze strophes, qui semblent toutes coulées d’un seul jet,