Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/34

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de sa force dans leur tombe… Seulement il jugeait parfois nécessaire de faire la bête et de s’attendrir…

Tout le monde me croit un émotif, songeait orgueilleusement Malauve. ’ Je me fais une représentation si vive des choses et des êtres que j*ai rendu l’amour filial (lisez paternel) avec une richesse de sentiments si débordante, que j’ai l’air d’avoir trempé ma plume dans mon propre sang mêlé de larmes. Par contre, je fus toujours malhabile au récit des caresses et sensualités qui seules me tourmentèrent vraiment. Ainsi mon œuvre compense mon être. Sur la mort de ma mère (lisez de ma fille) qui m’a laissé indifférent, j’ai écrit des pages célèbres. On s’est plu à y voir l’expression d’un désespoir sublime, maintenu par une volonté d’acier. Non, tout était du même métal, poli, mat et froid, il n’y avait pas de douleur.»

J’ai tenu à faire cette longue citation, bien qu’il s’agisse ici d’un personnage de roman, de Malauve et non de Victor Hugo. Léon Daudet n’aurait peut-être pas osé parler en ces termes du grand homme, à qui il s’était allié. Mais, intentionnelle ou non, cette description psychologique a été appliquée par la critique à Victor Hugo, au moment où ce roman a paru. J’insisterai sur ces deux chefs d’accusation, orgueil et défaut de sensibilité, laissant de côté les moindres critiques, avarice ou défaut d’éducation mondaine, que ne valent pas la peine qu’on s’y arrête.

Orgueilleux, oui, c’est vrai, V. Hugo le fut. Il a même eu des prétentions nobiliaires, dont M. Edm. Biré a montré le néant. Et nous préférerions certes que Hugo eût pratiqué sur ce point la noble et fière indifférence d’Alfred de Vigny, qui disait, en parlant de ses aïeux, authentiques ceux-là :

« C’est en vain que d’eux tous le sang m’a fait descendre.
Si j’écris leur histoire, ils descendront de moi. »


Il est vrai aussi que Victor Hugo a un peu trop recherché la popularité, et qu’il tenait moins peut-être à la qualité qu’à la quantité de ses admirateurs.