Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/53

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« Ratbert, fils de Rodolphe et petit-fils de Charles,
Qui se dit empereur et qui n*est que roi d’Arles » ?


Quel historien a jamais parlé d’Éviradnus, de Mahaud, la marquise de Lusace, et de ses deux voisins Ladislas et Sigismond, le roi de Pologne et le César germanique ? Mais les témoignages de nos chansons de geste n’ont pas plus de valeur historique, et je ne sache pas davantage qu’Agamemnon, Achille, Ulysse, et la ville de Troie même aient une existence plus assurée. Ces inventions sont légitimes chez un poète et prouvent seulement sa puissance créatrice. L’essentiel est qu’elle soient fidèles à la couleur des temps et à l’esprit des civilisations diverses. « Tous ces poèmes, écrit V. Hugo dans sa Préface, ceux du moins qui résument le passé, sont de la réalité historique condensée ou de la realité historique devinée. La fiction, parfois, la falsification, jamais. » Le poète a-t-il tenu parole ? En somme, nous pouvons répondre: oui. Il y a là un petit procès que je n’ai pas le temps de plaider. M. Jules Tellier [1] conteste l’exactitude de la couleur historique dans plusieurs pièces. Mais je ne demande pas plus d’exactitude aux poèmes qu’aux pièces de théâtre. Pourvu que cette sorte d’histoire légendaire ne blesse pas les idées reçues et réponde à ce que nous savons en général du passé, je me déclare satisfait. Aymerillot, composé d’après un résumé de la Prise de Norbonne, paru dans le Musée des Familles, sous la signature d’un inconnu, Achille Jubinal, donne l’impression d’un vaste fragment de chanson de geste. Et il y a dans la Rose de l’Infante un portrait de Philippe II qui dépasse en profondeur et en vérité les plus beaux essais historiques.

Ce qui fait en somme la grandeur de la Légende des siècles, c’est moins la quantité de vérité historique que la quantité de vérité morale qu’elle contient. C’est une histoire

  1. Nos Poètes.