Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/60

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Mais comme V. Hugo, ils laissent toujours subsister une sorte de césure au milieu du vers ; seuls quelques jeunes ont osé écrire

« Et nous allons | appareiller | par les étoiles… »
(Richepin.)

« S’en allè | rent à Jérusalem | les pieds nus »

(J. Aicard.)

Th. de Banville et Sully-Prud’homme regrettent que ce genre de vers n’ait pas été consacré par le génie de V. Hugo.

Quant aux variétés de rythmes, rejets, enjambements, chevauchements des vers les uns sur les autres, nous en trouvons des exemples innombrables dans nos poètes contemporains. J’ouvre au hasard Leconte de l’Isle :


« Et l’homme s’éveilla de son rêve, muet
Haletant et livide ; et tout son corps suait
D’angoisse et de dégoût devant cette géhenne
Effroyable, ces flots de sang et cette haine.
Ces siècles de douleur, ces peuples abêtis
Et ce Monstre écarlate, et ces démons sortis
Des gueules dont chacune en rugissant le nomme
Et cette éternité de tortures ! Et l’Homme
S’abattant contre terre avec un grand soupir,
Désespéra du monde et désira mourir. »

Poèmes Tragiques, p. 107.

Mais c’est surtout la rime, la rime riche, la rime millionnaire que l’École Parnassienne a cultivée. La rime riche devient un besoin, une obsession. Pour Théodore de Banville, en particulier, toute la poésie se ramène à la versification, et toute la versification à la rime. Être poète, c’est assembler des rimes rares ou éclatantes et les relier par un discours quelconque. Les poèmes de Banville ressemblent eux-mêmes à des bouts-rimés — ce sont des tours de force de versification. Le poète a pour symbole cet