Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/68

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D’ailleurs de cette œuvre philosophique imaginaire, que je me plaisais à attribuer à Sully-Prud’homme, tout n’est pas perdu. Il a fait précéder son poème de la Justice d’une préface philosophique d’une centaine de pages, où il examine, du point de vue critique, et — j’ai à peine besoin de le dire — en fort bon style, les notions de matière, de masse, d’atome et de force. Plus récemment encore, en 1896, il a publié un volume de philosophie sous le titre : Que sais-je ? C’est un examen de conscience psychologique, où l’auteur essaie de faire le bilan de ses connaissances positives et de ses croyances. Sans vouloir entrer dans l’examen des idées philosophiques, contenues dans ce volume, — examen qui n’est pas de notre ressort — contentons- nous de dire qu’ici encore, comme dans la Préface du Poème de la Justice, Sully-Prud’homme semble se rattacher à l’école kantienne, surtout par la distinction qu’il fait des vérités scientifiques et des vérités morales, qu’il confond avec les formes esthétiques, — et plus particulièrement encore à ce néo-kantisme qui est représenté en France par M. Ch. Renouvier. Je signalerai encore, parmi les travaux philo- sophiques de notre poète, une bonne étude sur Pascal, publiée dans la Revue des Deux-Mondes (1890). Pascal a toujours exercé sur son imagination un puissant attrait (voir le poème du Bonheur, p. 285). Cette sympathie, très naturelle chez un néo-kantien, révèle les tendances philosophiques de Sully-Prud’homme, et éclaire discrètement un des côtés de son esprit. Je ne donne d’ailleurs toutes ces indications que parce qu’elles nous aident, dans une certaine mesure, à comprendre l’œuvre poétique que je veux vous présenter aujourd’hui.

Un esprit aussi bien doué du côté de la réflexion et de l’analyse ne pouvait pas faire œuvre de poésie, sans chercher à se rendre compte des procédés qu’il employait. « Tous les hommes commencent à penser spontanément, écrit-il lui-même dans sa Préface au poème de la Justice… Comme