Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/80

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poétique, quelque chose de précis, d*éternel, de géométrique, qui se prête à l’expression des vérités scientifiques ; c’est ce rapport que les Poètes gnomiques avaient soupçonné autrefois, et qui justifie tous les essais de Poésie didactique. Voyez par exemple la définition que Th. de Banville donne de la Poésie : « À quel caractère absolu et suprême reconnaîtrons-nous donc ce qui est ou ce qui n’est pas de la poésie ? Le mot poésie, en grec ποίεσις, action de faire, fabrication, vient du verbe ποιειν, faire, fabriquer, façonner ; un poème, ποίημα, est donc ce qui est fait, et par conséquent n’est plus à faire (je ne garantis pas bien entendu cette interprétation un peu fantaisiste) c’est-à-dire une composition dont l’expression soit si absolue, si parfaite et si définitive, qu’on n’y puisse faire aucun changement, quel qu’il soit, sans la rendre moins bonne ou sans en atténuer le sens. Ainsi Corneille a fait de la poésie, lorsqu’il a écrit le vers fameux


Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? — Qu’il mourût… etc.

(Traité de la Poésie française, p. 5.)


Mais, à ce compte là, dirons-nous à notre tour, il y a de la poésie dans cette formule géométrique : « La somme des angles d’un triangle est égale à deux droits» — ou dans cette formule de physique: «Les espaces parcourus par un corps qui tombe dans le vide sont proportionnels au carré des temps » — puisque ces formules ne peuvent pas être autres qu’elles ne sont, puisqu’elles sont faites à jamais, et qu’on ne peut rien y changer sans en altérer le sens. Ce n’est pas tout : des formules de ce genre, il y en a dans la langage ordinaire, dans la conversation courante. Lorsque M. Jourdain dit : Nicole, apportez-moi mes pantoufles, il ne peut pas s’exprimer autrement, il établit une formule inaltérable, irréductible, et si c’est là ce qui constitue la poésie, il faut dire que M. Jourdain faisait non-seulement