Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/12

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forte constitution du Franc-Comtois. Tous ses cheveux, et à peine quelques-uns qui eussent blanchi. Un front haut et large, sans rides, extrêmement mobile, sur lequel, pendant le silence de l’artiste, sa pensée se trahissait au dehors. Le caractère général de la tête était sévère, mais l’œil, d’une grande douceur, tempérait ce que les lignes du visage avaient de contenu et de grave. Je n’ai rien dit des lèvres elles étaient abritées sous de fortes moustaches dont les extrémités retombaient de chaque côté de la bouche, qu’elles voilaient en partie. Les joues et le menton sans barbe rendaient encore les moustaches plus apparentes, et Gigoux rappelait aux moins attentifs le portrait du Gaulois tracé par César. Vous avez lu ces lignes où l’auteur des Commentaires dit que nos pères avaient coutume de porter des moustaches épaisses qui, ne permettant pas de voir leurs lèvres ; leur donnaient un air impassible, quel que fût le danger. David s’est souvenu de ce détail lorsqu’il a sculpté Dumnacus ; Aimé Millet ne l’a point oublié dans sa statue de Vercingétorix.

Le portrait de Gigoux serait inachevé si je ne le complétais par la silhouette d’un ami qui ne le quitta jamais jusqu’en 1889, M. Gaston Marquiset, élève du peintre et son commensal. Peintre et lithographe à ses heures, connaisseur en belles œuvres, charmant conteur, inépuisable en anecdotes, M. Marquiset était député de la Haute-Saône. Ses préférences le portaient à parler d’art, mais qu’un solliciteur se réclamât de son crédit, il n’avait garde d’oublier qu’il était un homme politique. Tout le monde a été son obligé : il n’était celui de personne.

À l’époque où, très jeune encore, Marquiset travaillait dans l’atelier de Gigoux, celui-ci fit de son élève un excellent portrait que Pradier proclamait digne de figurer au Luxembourg. Marquiset, très fier de posséder cette toile, voulait l’offrir à sa mère, et ce fut elle qui obtint le portrait. Gaston Marquiset est mort subitement au Champ-de-Mars pendant une visite qu’il faisait en compagnie de Gigoux à l’Exposition Universelle de 1889.

Mais, me voilà bien loin de ma première visite à la rue de Chateaubriand. J’ai dit l’accueil que j’y reçus. Je venais, on s’en souvient, interroger Gigoux sur David d’Angers. Sans préambule, le maître me raconta comment il avait tenté de décider David à tra-