Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/13

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vailler au tombeau de Napoléon ; il me révéla le complot désintéressé, concerté par lui et Cavé, en cette occasion, dans le but de trouver un prétexte pour faire décerner à David la croix d’officier de la Légion d’honneur. De même, j’emportai de cette entrevue le récit de la conversation de Gigoux avec Lamartine, au cours de laquelle le peintre avait pris publiquement la défense de David, chez le président du Gouvernement provisoire.

Au bout d’une heure d’entretien, nous étions amis.

Quelques semaines plus tard, je vins communiquer à l’artiste les pages de mon livre où se trouvaient résumées les notes qu’il m’avait fournies. La lecture se fit à table. C’était un dimanche, et je déjeûnais ce jour-là rue de Chateaubriand, avec un vaillant compatriote de Gigoux, le général Grenier.

Depuis lors, je me suis maintes fois assis à la table du peintre, ou sous le berceau de chèvrefeuille qui abrite sa terrasse, ou sur le divan de son atelier. Là, je me suis rencontré avec une société d’élite. MM. Français, Jules Breton, Bonnat, Tony Faivre, Maxime Lalanne, Matout, Henner, Louis-Noël, le général Lamy, Charles Blanc et d’autres encore aimaient à venir parler chez Gigoux de leur passé, rappelant avec complaisance des noms illustres, de hauts faits, de grandes œuvres. Et j’admirais la verve toujours digne, l’entrain, la finesse que le peintre savait mettre dans ses entretiens, selon qu’il provoquait la réplique d’un camarade d’atelier, d’un débutant, d’un nouveau venu. Car on rencontrait des débutants et des nouveaux venus à la rue de Chateaubriand, et le jugement de Mme Ancelot sur les salons de la Restauration n’a rien perdu de son à-propos, si on l’applique à la maison de Gigoux : « Un salon est une réunion intime, qui dure depuis plusieurs années, où l’on se connaît, où l’on se cherche, où l’on a quelques raisons d’être heureux de se rencontrer. Les personnes qui reçoivent servent de lien entre celles qui sont invitées. L’échange continuel d’idées fait connaître la valeur de chacun ; celui qui apporte plus d’agrément est le plus fêté, sans considération de rang ou de fortune, et l’on est apprécié, je dirais presque aimé, pour ce qu’on a de mérite réel ; le véritable roi de ces espèces de républiques, — c’est l’esprit. »

Aujourd’hui que les salons de Gérard, de Charles Nodier, du