Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/20

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prépara, et, voulant en surveiller l’effet, elle ne quittait plus le chevet du petit blessé. Quand la douleur écartait le sommeil des paupières du malade, la mère triomphait de la douleur par quelque chanson naïve et monotone que les femmes ont l’art de murmurer aux oreilles d’enfants. Telle, cette paysanne finlandaise dont parle Xavier Marmier, - un Comtois lui aussi, - qui endormait son nouveau-né dans son berceau d’écorce de bouleau en chantant à demi-voix :


Dors, petit oiseau de la prairie ; dors doucement, joli petit rouge-gorge.

Dieu t’éveillera quand il en sera temps....

Le sommeil est à la porte et dit : « N’y a-t -il pas ici un doux enfant qui voudrait dormir ?

« Un petit enfant enveloppé dans ses langes, un bel enfant qui repose dans sa couverture de laine ? »

Dors, petit oiseau de la prairie ; dors doucement, joli petit rouge-gorge.


Quelle est la ballade franc-comtoise que la mère de Gigoux chantait de préférence ? Il n’importe. Ses chants, ses soins, ses caresses, son amour guérirent l’enfant au bout de quelques semaines.

Heureuse mère que son coeur a soudainement instruite des privations et des obstacles qui attendaient son fils s’il restait infirme ! Tout infirme est un vaincu. Une défaveur durable s’attache dans notre société moderne a quiconque est privé des avantages du corps. Si la fortune ou le nom ne fait contrepoids à cette défaveur, l’infirme est déchu du droit de commandement. Lorsque des sympathies vont à lui, elles lui viennent d’hommes supérieurs ou se jugeant tels. Un infirme est souvent un protégé, rarement on le tient pour un égal. Que l’on s’étonne après cela de surprendre parfois un fonds d’amertume dans l’âme de l’infirme ! Avec son bon sens populaire, la mère de Gigoux s’était pénétrée de cette vérité. Elle avait compris qu’un fils d’ouvrier, sans fortune et infirme, est irrévocablement condamné. Elle avait lu, la digne femme, non pas dans un livre, mais dans son cœur de mère ces curieuses paroles d’un contemporain : « Il faut admirer beaucoup les esprits qui s’agitent dans un corps malade ; je ne crois pas que ce soit un blasphême d’affirmer que la santé est une des conditions du génie. Ah ! que de soins, ah ! que de peines, ah ! quelle lutte acharnée et violente à qui veut surmonter l’obstacle : et si le corps est malade,