Page:Jouin - Jean Gigoux, 1895.djvu/36

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Le comte Ostrowski n’est pas moins illustre. Implacable ennemi de la Russie, il avait fondé sur la route de Cracovie la colonie de Tomaszow qui devint promptement florissante. Lors de la révolution de 1830, il pénétra dans Varsovie, et, secondé par son frère Wladislas, sa conduite fut celle d’un héros pendant que dura l’agonie sanglante de la Pologne. Au lendemain de ces jours glorieux, les deux frères d’armes furent exilés et Montalembert les ayant fait asseoir à son foyer, ne parla plus de la Pologne dans les Chambres françaises qu’en lui donnant le nom de « Nation en deuil ».

Gigoux devait exposer au Salon de 1833 les portraits peints de ces deux vaillants Polonais. L’exil a son auréole.

Mais avant de juger le fin profil des Johannot, dessiné par notre peintre, sachons de lui ce qu’il pense de ces jeunes artistes.

C’est le burin qui détermina chez les Johannot la vocation du dessinateur. Il n’y a nulle étude préalable à l’origine de leurs illustrations. Les maîtres leur étaient inconnus. Ils n’avaient pas eu le temps de lire les chefs-d’œuvre de la peinture, tout occupés de parcourir les vieux missels, les chartes enluminées afin d’y surprendre le moindre détail du costume intéressant le moyen-âge. Bref, les premières investigations que firent Alfred et Tony Johannot dans le domaine de la couleur furent dirigées vers la couleur locale, l’exactitude. Initiation périlleuse. Leurs vignettes se comptent par milliers. Presque toutes sont charmantes. Ces deux jeunes hommes ont été pour notre temps de véritables, et brillants rénovateurs de l’illustration, telle que l’entendaient les maîtres habiles du dix-huitième siècle. Et Dieu sait quel trésor de grâce ils ont dépensé dans leurs figures, surtout dans les figures de femmes Le romantisme n’a rien rêvé de plus charmant. L’originalité est la qualité maîtresse de leur œuvre immense.

Je fis en 1832 leur portrait pour l’Artiste. Alfred était l’aîné. Très contenu, de manières réservées, parlant peu, il n’avait pas l’extérieur accueillant. Beaucoup de gens ont pris ces dehors pour de la froideur. Tel n’était pas le fond de sa nature. Alfred Johannot se sentait miné par une maladie de poitrine. Lui-même m’a confié qu’il en était parfois à retenir sa respiration. Il est mort le 7 décembre 1837[1].

On conserve au Musée de Versailles plusieurs tableaux d’Alfred Johannot, remarquables par l’entente de la composition. Il avait acquis en dessinant ses innombrables vignettes une souplesse d’imagination qui le rendait apte à tirer un tableau de la moindre scène dont le hasard le faisait témoin. Une autre qualité qui distingue les compositions d’Alfred Johannot, c’est le naturel et la vérité de ses personnages. Tous sont authentiques. On dirait que le peintre a connu l’individu, la personne intime chez Rob-Roy ou Louis XI, qu’il a suivi ses héros à l’heure où ils se croyaient sans témoins, aussi l’attitude et le geste sont-ils de l’homme. Quant aux fonds dans les tableaux d’Alfred Johannot, ils n’ont jamais rien de banal le peintre les recule à son gré d’après des mathématiques dont lui seul est maître.

  1. L’éditeur de 1885 laisse dire à Gigoux que Johannot mourut « vers I836 ». Il eût suffi d’ouvrir une biographie du peintre pour rectifier cette erreur de mémoire.