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Page:Jourdain - Les Décorés, 1895.djvu/292

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LES DÉCORÉS

meurtrie et fanée, dont chaque ride représentait une semaine, un mois, une année de luttes pour m’amener où j’étais arrivé, et je pensais que ce rayon de soleil — le premier — payait un long passé d’humiliations et de tristesses. Comme c’est loin, grand Dieu, ce déjeuner-là !


D’un furieux coup de pied, l’artiste envoya rouler, à l’autre bout de l’atelier, une éponge qui se trouvait à sa portée.

— C’est imbécile ! continua-t-il, mais je croyais qu’il durerait éternellement ce bonheur à deux. J’avais vu ma mère la veille, je pensais la revoir le lendemain, et éternellement ainsi. Seulement, un soir, on se trouve seul, tout seul, car je ne m’étais pas marié pour ne pas me séparer d’elle, et ne pas blesser sa jalouse et absorbante tendresse ; alors on se demande pourquoi l’on est resté sur cette terre