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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

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l’aime beaucoup et ensuite parce que la première fois que je lai entendue maman et Tante la fredonnaient pendant qu’un soir nous jouions au domino-cartes et elle me fait tou- jours penser à Tante. Le Récit d’une Sœur, aussi, c’est pour cela queje l’aime tant ; celivre est très triste, mais j’aime ce qui est triste parce que c’est ce qui est vrai, et puis il faut que j’es- saye de décrire un de mes sentiments qu’il a encore avivé ; c’est-à-dire que j’aime la douleur : j’en souffre et c’est juste- ment pour cela que je l’aime, car on ne souffre que lorsqu’on aime et on n’est quelque chose qu’en aimant, et les souvenirs tristes me sont aussi chers, même plus, que les souvenirs joyeux ; ainsi mes deux souvenirs les plus douloureux et qui me font souvent pleurer, c’est d’abord la mort de notre chère tante Alice et ensuite de ne plus voir les B. Je ne dis cela à personne, c’est la première fois que je l’écris dans mon jour- nal, quoiqu’il y ait bien longtemps que je le sente, et pourtant je ne suis pas tristel

Puisque je n’ai rien à faire et que la fantaisie m’en prend, je m’en vais décrire toute ma famille. D’abord, elle se divise en trois classes : la crème que j’adore, qui se compose de maman, tonton Albert, tonton Lionel, tante Gabrielle et leurs en- fants ; — après, ceux que j’aime bien : — après, ceux qui me sont indifférents ou que je n’aime pas.

Celle que je n’aime pas se compose de X., parent de mon père, que je ne vois jamais, dont je suis l’héritière, pas de ses vertus, j’espère, cependant j’ai toujours entendu dire que les vertus cachées étaient les plus vraies, mais encore faut-il qu’elles existent.

Après, R. d’A. que j’exècre, heureusement qu’on ne le voit pas Souvent, Puis Ch. d’A., sa femme, son fils et sa fille, in- connus ; puis Em. d’A. et sa femme qui est créole, ce que je lui trouve de mieux, dans son mari. — Il y a bien une promesse qui m’octroierait une gazelle ce qui le ferait rentrer dans mon estime, mais la gazelle n’est pas là. Il y a encore Em. S., son mari et ses enfants. Ém. me fait pitié, de sorte que je l’aime un peu. Je crois que c’est toute la 3€ classe. — Dans la se-