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ANNÉE 1898

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l’autre riait. « S’il y a un peu d’amour sur la terre, c’est moins parce que les cœurs refusent d’aimer que parce que la plupart des humaïns refusent de mériter l’amour. » (Père GRATRY.)

9 Mars.

Le châtiment le plus décourageant que Dieu pourrait m’in- fliger serait de me guérir aujourd’hui. Le seul témoignage que je puisse me rendre, c’est que, dans les moments de plus grande fatigue, quelque chose m’a toujours tenue attachée à cette épreuve et, m’eût-on offert le moyen d’en être délivrée sur-le-champ, j’aurais beaucoup réfléchi avant d’accepter.

Dieu m’a ouvert toutes grandes les portes du monde intelli- gible et supérieur ; jusqu’où me suis-je aventurée ?

Vendredi 18 mars.

Toutes mes heures de lassitude et d’anéantissement, le tra- vail qui dégoûte, la fatigue de la règle, l’isolement, l’ennui, me rappeler que tout cela fait partie de mon programme. « Ces acceptations ne sont pas de vaines phrases. Dieu nous prend au mot. » N’ai-je pas moi-même voulu sentir dans tous ses détails, « dans toutes ses circonstances et ses dépendances » ce qui de- vait m’éprouver ?

Vendredi Saint.

Nous sommes légers, même à notre malheur, pour peu qu’il dure, Ce n’est qu’en souffrant toute notre souffrance que nous nous décidons enfin à chercher un remède àsa taille et que nous nous sentons frustrés par tout le reste. Malheur aux consolés !

Nous sommes tellement vivaces pour ce monde, nous nous raccrochons tellement à toutes ses branches qu’il nous faut apprendre le désespoir comme le détachement.