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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

ANNÉE 1899

Dimanche 29.

"AURAIS-JE pas de cœur ? | Il a tellement fallu me rendre invulnérable, qu’en

toute circonstance, sans exception, je suis épouvantée de mon détachement.

Lundi 30 janvier.

Je regrette la musique comme une personne morte.

Ah ! comme les vieux airs qu’on chantait à douze ans…

Je crois ma mémoire prodigieuse à cet égard. Je n’ai pas perdu une mesure de ce que j’ai entendu ; je conserve la gamme très juste, en m’appliquant je retrouverais bien la chromatique, puis tous les arpèges, la note isolée… Alors je lirais la musique comme une langue de plus.

On apprend à une jeune fille à tout mépriser, à se consoler de tout : beauté, fortune, ambition, grande passion. On ne lui laisse même pas l’exaltation de la piété. On leur enseigne le dévouement de tous les jours, « celui qui n’a pas besoin de grandes occasions », sans se douter que leur dévouement n’est peut-être pas ce dont les autres ont besoin. :

Mais au moins, si vous leur faites tout mépriser, c’est, enfin, avec quelque chose ? Pas du tout ; car elles méprisent aussi, ou méconnaissent plutôt, l’expression parfaite de leur propre idéal : la vie religieuse. O Jésus ! Fils unique, égal au Père qui, avec l’Esprit consolateur, régnez aux siècles des siècles !