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ANNÉE 1899

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d’être une obsession. Elle est à sa place au bout de la vie ; ne l’en dérangeons pas. |

Illusion pour illusion, j’aime mieux l’illusion brillante, et surtout l’illusion passionnée. Ï1 faut toute la passion des saints pour faire du ciel un bonheur.

Quant à la paix, elle est une joie que doivent imaginer fort mal, je l’espère pour eux, ceux qui l’appellent. Toujours la suppression de la souffrance ; les humains ne vont pas au delà !

Vannes, 23 mai.

Je tiens immensément au physique. « Elle est bien laide, mais c’est une bonne fille » ; avec ce mot, j’entre aussi en dé- fiance du moral que du physique. Il est moins facile à juger d’abord et je crois qu’il y gagne. Et puis, moralement, la médiocrité suffit.

Je suis nettement hérétique, pélagienne, je crois, je suis persuadée que la nature manque ou réussit les êtres de part en part. Opposer toujours la beauté morale à la beauté physique, c’est croire la première plus commune que la seconde et être moins difficile pour l’âme que pour le corps.

Vannes, dimanche 28 mai.

Je lis avec fièvre un article de Camille Bellaigue sur les neuf symphonies. La musique est une partie morte de moi-même dont je ne peux me détacher. Les noms de Bach, Beethoven, César Franck, Wagner me donnent des remous noirs. La sur- dité est une torture morale dont je n’ai pas encore vu le fond. Un aveugle perd son corps, un sourd son âme. Le silence à ce point-là n’est pas un recueillement ; c’est un évanouissement et un vertige. Le moindre bruit me rendrait plus présente à moi-même que tout ce que je vois et je touche.

J’ai des journées d’apsychie et, si je n’ai même pas l’illusion